Chapelle algérienne de L’Herbe

La rencontre improbable de la croix catholique et du croissant musulman une exclusivité de L’Herbe

Nommer L’Herbe un village où règnent les pins, l’eau et le sable quand la masse des touristes est rentrée dans ses terriers citadins, a de quoi déconcerter mais c’est oublier les prairies marines faites de varechs et de zostères qui sont à l’origine de cette appellation. Les habitants ne sont pas des graminées mais des Légeot-Ferretcapiens car il s’agit d’un hameau de Lège Cap-Ferret.

La religion musulmane interdit statuaire et iconographie, seules deux statues encadrent le chœur, Marie et Joseph

La chapelle algérienne, restaurée en 2011, témoigne d’un passé où les bons sentiments paternalistes ne craignaient pas de s’afficher, ni de se pratiquer. L’alliance de la croix catholique et du croissant musulman au sommet de cet édifice a de quoi faire sursauter. C’est l’aboutissement de la vie de Léon Lesca, homme d’affaires prospère, d’une générosité sociale qui s’inscrit dans l’esprit du saint-simonisme et d’une profonde ignorance des fondements des deux religions… Mais l’utopie ouvre parfois des voies imprévues.

Le lustre, lui, s’inscrit dans les traditions mauresques

A l’origine de ce lieu, Léon Lesca né en 1825 et son frère aîné Frédérick. Ce sont des enfants du pays, leur père, Pierre Lesca est un industriel testerin dans le bois et la résine. Léon dans sa formation ira faire son apprentissage dans la famille, il y sera en contact avec les Compagnons du Devoir. Sa carrière dans les Travaux Publics le mène en Algérie où il construit les quais du port d’Alger, le chemin de fer Philippeville / Constantine. Devenu millionnaire, il achète avec son frère plus 25.000 ha de terrains sur la presqu’île lors des ventes publiques. Séduit par le style mauresque qui est d’ailleurs à la mode à l’époque (c’est en 1863 qu’est construit le casino mauresque d’Arcachon) il se bâtit une gigantesque villa en 1870 et comme il emploie beaucoup de personnel et que pour accéder à l’église il n’y a guère que les bateaux, les deux frères obtiennent l’autorisation de construire une chapelle.

Une des stations du Chemin de Croix qui orne les murs, nous l’avons agrandie pour la lisibilité car ces tableaux sont très petits

La chapelle Ste Marie du Cap, construite par Eugène Ormières en 1885, avec son dôme central, ses arcs mauresques, tente de concilier les exigences des deux religions, la statuaire se réduit à Marie et Joseph de part et d’autre du chœur, pas d’images si ce n’est quelques carreaux de faïence avec les rosaces propres aux décors musulman. Quant au Chemin de Croix, il se limite à de minuscules tableaux dont il faut s’approcher pour découvrir la scène. Au-dessus du porche le « Gloria Deo », convient aux deux religions.

La vue classique de la chapelle

Léon Lesca ne fut pas un théoricien mais a mis en pratique ses principes en accordant à son personnel (rien que sur la presqu’île il y avait 88 employés) des conditions de travail exceptionnelles pour l’époque qu’il s’agisse de la rémunération ou temps de travail, il est aussi administrateur de plusieurs œuvres sociales pour les ostréiculteurs et pour la protection des orphelins qu’il n’hésite pas à embaucher. Il fut aussi conseiller général et mourut à 88 ans. L’originalité de notre utopiste fut non seulement de mettre en pratique ses généreuses idées mais de la faire sur ses deniers personnels, contrairement aux utopistes contemporains qui engagent sans compter l’argent du pays, c’est-à-dire nos impôts, taxes et autres innombrables redevances plus ou moins cachées.

L’arbre semble là depuis le commencement des temps et tout rafistolé qu’il soit continue à vivre